les cancers à répétition ou les récidives / LE CANCER, C' EST LES AUTRES (3)
Tous les jours qui passent me rapprochent de ma mort, ma mort annoncée, répétée. Si je marche un peu vite, si je gravis une côte : mon coeur saute dans ma poitrine. Je n'ai plus la force d'avancer : je reste là échouée sur le bord de la vie. Déjà, à chaque fête, à chaque anniversaire, il me semble que c'est le dernier ou l'ultime. Un lourd pressentiment m'étreint : celui de ma mort prochaine.
Pourtant, je le combats pieds et poings liés. Une part de moi songe à l'avenir, est optimiste ; une autre part de moi ne voit la vie que sous des couleurs sombres, ressent chaque jour la crainte douloureuse d'une fin proche.
Tout avait bien commencé pour moi dans la vie. A la différence de Zorn, dont j'ai exposé plus haut les chagrins familiaux dès l'enfance, fille unique de parents aimants je fus heureuse de vivre auprès d'eux et de mes grands parents. Je révais plus que je ne vivais. Tous les possibles m'étaient ouverts, de multiples chemins s'offraient à moi. Par peur de choisir, par crainte de devenir adulte trop vite, je me protégeais derrière des remparts de livres.
J'existais seulement par procuration ; je revêtais l'apparence des héroïnes livresques. Je m'habillais le coeur de sentiments tendres, voire d'inclination amoureuse pour les héros prestigieux des romans de cape et d'épée. Je m'enthousiasmais pour les voyages lointains décrits dans les romans d'aventures.
Comme je les enviais tous ces héros de romans, comme j'aurai aimé échanger mes jours simples et lisses contre les leurs. Alors j'engloutissais encore plus de livres, absorbant à satiété les vies rêvées des personnages fictifs. Mais il fallait bien poursuivre mes études. Bonne élève, je n'avais pas d'amie. Je croyais en avoir mais je fus déçue. A l'adolescence, les filles de mon âge étaient préoccupées par les garçons et l'on se moquait de moi, de ma sagesse, de mon obéissance vis à vis des professeurs, de mon travail routinier et appliqué. J'eus le coeur tordu de douleur quand j'entendis celle que je croyais mon amie me dénigrer auprès des jeunes gens à qui elle voulait plaire : "je suis avec elle parce qu'elle me passe les devoirs, m'aide... mais c'est tout". Avec les lycéens qui me méprisaient pour mon manque de joliesse, mon poids, je souffris énormément. Je me repliais sur moi. A quelques mois se déclara une grave maladie : dont j'appris le nom bien plus tard : c'était un cancer. Je ne fus pas étonnée : l'idée de la mort ne m'impressionna pas : finalement, une mort jeune permettait d'éviter tous ces malheurs, déconvenues que je pressentais !